C’est épidermique. Je déteste non pas tant la FIFA (en fait, je ne porte aucun intérêt au football) que ce qu’elle représente (cf. à ce sujet ma « Dépêche » du Samedi 19-dimanche 20 octobre 2013 : « Après le FMI, la FIFA va-t-elle devenir la bête noire des peuples ? »).
Et ce qu’elle représente c’est, justement, la corruption portée à son plus haut niveau. Je ne suis pas le seul à le penser. Le Parlement helvétique prépare d’ailleurs une loi sur le blanchiment d’argent que la presse et l’opinion publique ont baptisé « lex FIFA ». Ce qui veut tout dire. C’est que la FIFA, à l’instar d’une quarantaine de fédérations sportives, a son siège en Suisse.
Or, « le Parlement et les gens en Suisse en ont assez de la corruption. Et ça, ils ne l’ont pas compris à la FIFA » explique le député Roland Büchel qui sait de quoi il parle puisqu’il a collaboré au service marketing de la FIFA de 1999 à 2002. Notons que association à but non lucratif, la FIFA a des réserves financières qui s’élèveraient à…. 1.157 millions d’euros !
Roland Büchel, conseiller national de l’Union démocratique du Centre (UDC), s’insurge donc contre l’image négative de la Suisse où siège la FIFA. « La Suisse est l’un des pays où il y a le moins de corruption, mais avec les histoires de la FIFA on a l’impression d’être dans un pays plus corrompu que le Burkina Faso ». Cette affirmation fait le tour de la planète internet.
« Plus corrompu que le Burkina Faso » ! On peut s’étonner de cette référence dès lors qu’en matière de corruption, le « Pays des hommes intègres » n’était pas, jusqu’alors, celui qui était montré du doigt, loin de là. Du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est du continent, il y a une flopée de pays où la corruption est non seulement récurrente mais institutionnelle et particulièrement visible.
Les « affaires » et autres scandales y sont légion et ce n’est pas grâce à l’action des autorités ou de la justice mais, le plus souvent, du fait des luttes d’influence politique locales ou de l’attention portée par les organisations internationales qu’elles sont mises au jour.
Selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International, sur 178 pays référencés dans le monde, le Burkina Faso n’appartient pas au Top 100 des « corrompus » ; et sur 53 pays africains pris en considération, quarante sont perçus plus corrompus que le Burkina Faso.
Mais bien sûr, « l’insurrection populaire » des 30-31 octobre 2014 et la démission de Blaise Compaoré ont propulsé le Burkina Faso à la « une » des médias mondiaux. Compaoré a été présenté, jour après jour, comme un tripatouilleur de Constitution et un chef de bande qui a mis l’économie nationale en coupe réglée. Tout n’était pas parfait au Burkina Faso, loin de là, les dysfonctionnements de l’administration publique étaient monnaie courante (et de plus en plus fréquents), mais de là à faire de ce pays le symbole de la corruption il y a un pas qui ne paraissait pas franchissable. Même pour un conseiller national suisse (qui a beaucoup roulé sa bosse et a eu l’occasion de travailler au Mali pour le compte des services consulaires dans le cadre du ministère des Affaires étrangères de Berne).
C’est le problème avec les révolutions. Quelle que soit leur positivité, elles sont toujours perçues comme une évolution négative de la société. Elles suscitent la suspicion. Et, en plus, elles mettent au jour les comportements du régime précédent ; nécessairement vilipendé, sinon la révolution n’aurait aucun sens*. Un observateur, je ne sais plus qui, en 1984, quand Thomas Sankara a décidé de changer la Haute-Volta en Burkina Faso, avait questionné le leader révolutionnaire : mais si ce pays est celui « des hommes intègres », quel sens, finalement, a votre révolution ?
Les révolutions, comme les histoires d’amour, « finissent toujours mal ». Lénine en Russie, Mao en Chine, Um Nyobé au Cameroun, Castro à Cuba, Cabral en Guinée Bissau, Ben Bella en Algérie, Sékou Touré en Guinée, Neto en Angola, Ngouabi au Congo, Sankara au Burkina Faso, etc…
Mais on en attend toujours le meilleur ; jamais le pire. On en attend, surtout, une image valorisée : après tout, un peuple qui prend son destin en main et ose affronter la répression pour changer le monde mérite le respect. Sauf que pour justifier cet instant miraculeux où s’instaure le changement tant espéré, il faut dénigrer le passé et enjoliver l’avenir.
C’est comme cela qu’un Suisse, qui a collaboré à la FIFA mais aussi à la CAF (nids de prévaricateurs parmi les plus redoutables dans le monde du foot qui, pourtant, n’en manque pas !), peut affirmer que la Suisse donne « l’impression d’être un pays plus corrompu que le Burkina Faso ». C’est beaucoup de naïveté de la part de l’élu d’un paradis fiscal qui n’a jamais été regardant quant à l’origine des fonds venus d’Afrique et d’ailleurs déposés dans ses banques.
Mais c’est surtout faire injure aux Burkinabè – et à ceux qui veulent œuvrer à une autre gouvernance – que de véhiculer une image de leur pays qui ne correspond pas à son histoire. Sous prétexte du passé faire table rase, faut-il le nier et, plus encore, le renier ?
Bien sûr, la tentation est forte, pour se faire une virginité, d’en rajouter dans le dénigrement. Mais aucune nation ne se construit sur le mensonge, fût-il d’Etat. Les décennies passées appartiennent aussi à l’Histoire du Burkina Faso. La IVè République n’a pas été exemplaire ? A chacun sa vision des choses.
Il y a quelques jours (4 décembre 2014) un hommage était rendu au professeur Joseph Ki-Zerbo, mort il y a huit ans (cf. LDD Burkina Faso 0116/Vendredi 8 décembre 2006). Que sa mémoire se perpétue année après année est une bonne chose, même si cette année la radicalité du propos tranchait avec la retenue des années précédentes. Ki-Zerbo a joué un « rôle très important » dans la journée du 3 janvier 1966 qui a renversé la 1ère République.
Mais la Place d’armes, à Ouaga, qui était devenue celle du 3 janvier, a été rebaptisée Place de la Révolution puis de la Nation. Ki-Zerbo, quant à lui, avait choisi de quitter la Haute-Volta en 1983 (avant la grande rafle des anciens leaders politiques en octobre) pour s’installer à Dakar jusqu’en 1992.
Au lendemain de son retour à Ouaga, il me dira : « Le pouvoir a tendance à se perpétuer, à élargir son champ d’action. C’est humain. Le problème, c’est d’arriver à mettre en place des garde-fous et à limiter les dégâts. « Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir », affirmait déjà Montesquieu. Ce qui veut dire instaurer des contre-pouvoirs. Mais ceux-ci sont rares en Afrique, c’est un créneau vide […] En Afrique, la société civile existe mais n’est pas structurée et opère dans un champ d’action qui est en dehors du champ formel de la démocratie ».
Vingt ans plus tard, les événements de 2014 sont l’expression de cette absence de structuration de la société civile. Sankara, qui n’aimait pas la société civile, a dit de Ki-Zerbo qu’il était un « Africain complexé ». Il ajoutait alors : « Il n’a jamais réussi au Burkina Faso, ni par la voie électorale, ni par la voie putschiste […] Nous étions contents qu’il s’en aille car nous sentions qu’il avait vraiment très peur, et nous ne voulions pas qu’il en meure, qu’il finisse par nous claquer dans les mains, ce qui nous aurait valu des accusations terribles » (Jeune Afrique – 12 mars 1986).
Ki-Zerbo et Sankara sont, qu’on le veuille ou pas, deux personnalités majeures de l’Histoire du Burkina Faso. Mais comme toutes les personnalités, elles sont controversées. L’Histoire tire justement sa richesse de sa diversité, pas de l’ostracisme.
* Georges Clémenceau aimait à dire qu’en « politique, on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables ».
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique